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Tectonique
Il reste à analyser quelques images qui resteront gravées dans la mémoire, mais aussi à faire le point sur la pertinence de l'approche proposée par Emmanuel de Martonne aujourd'hui. C'est l'intrusion de la tectonique, qui s'est métamorphosée plus tard en tectonique des plaques, qui sapera le fondement de la géomorphologie de Davis et donc celle proposée par de Martonne. Etrangement, il a fallu plusieurs siècles pour comprendre que les mouvements verticaux qu'il faut invoquer pour expliquer l'apparition d'une montagne sont simplement le résultat de déplacements horizontaux de matière sur de grandes distances !
Dans cette représentation de failles conformes ou contraires et leur combinaison qui expliquent les grabens (les zones déprimées) et les horst (les zones en saillie), le seul mouvement vertical semble suffisant pour expliquer les mouvements du terrain affectés par les failles, ce que souligne insidieusement les fléches complétées en violet par un sens de déplacement.
La faille verticale permet le déplacement de deux blocs l'un par rapport à l'autre et résulte d'une poussée horizontale. Mais cette interprétation simple, voire simpliste, ne saurait exclure d'autres interprétations possibles.
Ce dessin indique comment une zone d'effondrement réagira à l'érosion en formant des corniches et autres buttes-témoin. Mais l'unique considération du décapage de surface empêche d'imaginer la dynamique qui fait monter ou baisser certaines zones.
Voici comment Birot, un héritier spirituel de l'approche développée par de Martonne, représente l'évolution géomorphologique de couches plissées. En haut, le relief est conforme, c'est à dire que les couches dures forment l'ossature des reliefs. Au centre, l'érosion attaque les sommets des anticlinaux et dégage les couches tendres, ce qui se traduit par une inversion du relief. Enfin, en bas, les anticlinaux et les synclinaux sont situés au dessus du niveau de base et sont a peu près de même importance.
Mais la parallélisme trop parfait des couches devrait rendre dubitatif le plus théorique des observateurs de la nature.
Mais la parallélisme trop parfait des couches devrait rendre dubitatif le plus théorique des observateurs de la nature.
Dans cette autre figure de Birot, les couches sont soumises à une double contrainte, qui se traduit par une ondulation de gauche à droite mais aussi d'avant vers l'arrière. Les couches dures se fissureront le long de plans de cassure appelés diaclases, ce qui permettra à l'érosion d'attaquer en priorité les crêtes, plus profondément diaclasées. Même lorsqu'une telle figure a été produite, le mouvement latéral - ou horizontal - n'était toujous pas envisagé comme principale explication. En comparaison, qui expliquerait le mouvement des vagues de l'océan uniquement par la gravité, c'est-à-dire des forces verticale? Mais la fixité des continents était tellement ancrée dans les cerveaux qu'elle empêchait d'imaginer un mouvement fluide.
Cette obsession de la fixité des continents par rapport à la nature fluide de l'océan ne reflète-t-elle aussi les fanatismes idéologiques qui caractérisent la première moitié du XXème siècle?
Cette obsession de la fixité des continents par rapport à la nature fluide de l'océan ne reflète-t-elle aussi les fanatismes idéologiques qui caractérisent la première moitié du XXème siècle?
Dans cette figure de synthèse magistrale, de Martonne combine deux mouvements ondulatoires et exprime dans le détail l'évolution du paysage sous l'érosion normale. Le sommet des anticlinaux se déchire, l'érosion y creuse des combes, le réseau hydrographique s'organise peu à peu et il ne reste que quelques buttes-témoin de la couche la plus superficielle après un temps... dont on ne mentionne jamais la durée. Pour être juste, il faut préciser qu'aucune datation absolue n'existait lorsque de Martonne a publié son traité, c'est seulement dans les années 1950 que les premières mesures de Carbone 14 permettront de poser les jalons d'une chronologie absolue.
Déplacements verticaux ou longitudunaux ?
Lorsque de Martonne évoque les nappes de charriage mis en évidence par Maurice Lugeon, il illustre son propos avec cette figure et explique qu'il s'agit de nappes poussées par un mouvement tangentiel qui empile les couches les une sur les autres, ou dont le mouvement permet parfois de passer par dessus des seuils formés de socles résistants.
Puis de Martonne évoque les géosynclinaux, la théorie alors en vogue qui explique comment les sédiments se concentrent d'abord dans d'immenses vasques qui seraient plissés lors d'épisodes tectoniques, mais dont on ignore la force agissante. Comme les continents étaient censés être fixes, il fallait envisager des ponts continentaux qui se créent et se défont en fonction des besoins de la paléontologie pour expliquer des faunes ou des flores semblables sur divers continents.
De Martonne soupçonnait cette représentation d'être fantaisiste et semblait tenté de développer une vision mobiliste plutôt que de devoir construire puis détruire théoriquement des ponts intercontinentaux. Il souligne à plusieurs reprises à quel point la théorie d'Alfred Wegener sur la dérive des continents aurait l'avantage de simplifier des problèmes de paléogéographie. Il n'osera pourtant jamais faire ce pas, se contentant du commentaire suivant: "Le coté paléoclimatologique de la théorie de Wegener a été développé de façon séduisante par Köppen. Mais l'opinion lui est encore généralement défavorable au moment où nous écrivons" (édition de 1940 quand l'Allemagne nazie menaçait toute l'Europe - qui aurait alors encore osé défendre une théorie scientifique allemande iconoclaste?).
Dans son livre de géomorphologie structurale, largement construit sur le même plan que celui du traité de de Martonne, Pierre Birot inclut la coupe suivante des Préalpes suisses telle qu'on pouvait se l'imaginer au tournant des années 1950, juste avant que la révolution de la tectonique des plaques ne se mette en route et balaye toute la tradition des géosynclinaux. Les géologues alpins avaient compris depuis longtemps l'importance des mouvements horizontaux et réussi à reproduire leur histoire complexe de glissement, enchevêtrement et érosion. Mais leur origine, qu'il fallait chercher en étudiant ce qui se passe au fond des océans plutôt que dans les Alpes, ne semblait pas les intéresser outre mesure, et les recherches se sont concentrées sur la définition toujours plus fine de la stratigraphie et de la cartographie précise de ces montagnes complexes.
Là où Wegener proposait un nouveau chemin et où Argand s'engouffrerait sans hésiter, Emmanuel de Martonne s'est arrété, fasciné par la puissance théorique de la géomorphologie de Davis qui guidait si sûrement son raisonnement et lui a permis d'organiser un immense traité de géographie physique qui aura marqué les esprits pendant un demi-siècle. Certaines de ses figures vont lui survivre encore longtemps, personnellement, je resterai marqué par ses figures sur l'océan arctique, l'écoulement du Nil, la carte des vents marins, les cuestas du Jura souabe, ses blocs-diagramme illustrant l'érosion glaciaire, en particulier le surcreusement de la plateforme norvégienne, la vue polaire de répartition des loess, la côte à rias bretonne, l'évolution des Appalaches ou encore l'érosion d'un paysage jurassien. Je garderai aussi un souvenir lumineux de sa prose, il suffit d'ouvrir son livre pour ré-entendre le chant de la terre qu'il nous a offert.
Mais je garderai aussi intacte ma méfiance face à toute théorie tellement cohérente que l'oeil ne voit plus que ce qu'elle suggère. Colorier les figures d'Emmanuel de Martonne m'a permis de les découvrir en détail plutôt que de les ingurgiter.
Pour paraphraser la déclaration d'intention de ce site, cet effort participe à une réadaptation lente des yeux qui s'habituent à nouveau à découvrir activement plutôt qu'à ingurgiter passivement, ou encore pire inconsciemment. GAFA non passeran se gargarisait-il en mauvais franglespagnol...
Mais je garderai aussi intacte ma méfiance face à toute théorie tellement cohérente que l'oeil ne voit plus que ce qu'elle suggère. Colorier les figures d'Emmanuel de Martonne m'a permis de les découvrir en détail plutôt que de les ingurgiter.
Pour paraphraser la déclaration d'intention de ce site, cet effort participe à une réadaptation lente des yeux qui s'habituent à nouveau à découvrir activement plutôt qu'à ingurgiter passivement, ou encore pire inconsciemment. GAFA non passeran se gargarisait-il en mauvais franglespagnol...