La musique recommandée pour cette section Paolo Conte
Déformer l'espace euclidien pour saisir l'essence du monde avec une perspective antigéographique
Dans un texte inspiré et particulièrement inspirant, Patrick Poncet propose de reconsidérer la géographie dans son ensemble en déplacant son centre de gravité de la masse pour porter son attention aux flux qui caractérisent bien mieux une réalité urbaine qui représente toujours plus systématiquement l'environnement dans lequel se meuvent les humains, même si leur perception en est largement influencée par ce qui se projette sur les écrans digitaux qui les accompagnent partout. Il s'interroge également sur tous ces cartogrammes classiques qui prennent par exemple le nombre d'habitant comme principal facteur déformant la réalité (voir section précédente) et propose de s'intéresser plutôt à leur absence, c'est à dire de déformer l'espace en fonction... de son vide.
Nous allons suivre son idée - et son esthétique - en déformant d'abord la Suisse selon les lieux les plus peuplés, puis selon les endroits les plus vides et voir si des réalités complémentaires apparaissent sur nos écrans.
Tout commence avec une représentation classique de la Suisse, avec une gamme de couleurs et des ombrages imitant au mieux les canons esthétiques de la carte topographique nationale. Une vaste plaine dans laquelle se concentrent les principales villes est appelée Moyen-Pays et s'insère entre le Jura et la Forêt Noire au nord et les Alpes au sud.
Comment étudier la répartition de la population dans un environnement qui semble si contraint par ses caractéristiques naturelles? Peut-être simplement en les ignorant peu ou prou...
Comment étudier la répartition de la population dans un environnement qui semble si contraint par ses caractéristiques naturelles? Peut-être simplement en les ignorant peu ou prou...
Il a fallu trouver un fichier avec toutes les communes de Suisse, qui a dû etre manipulé pour mettre en évidence les informations cachées dans les colonnes de chiffres digitaux. En voici une représentation bien sage, avec des classes choisies de façon à avoir le même nombre de polygones avec la même couleur. Les municipalités les plus peuplées sont en noir, les communes presque vides sont en blanc.
Toute une série de manipulations seront maintenant nécessaires, en voici un schéma simplifié. Il n'y aura pas des description de cette partie technique par la suite sauf lorsque cela est pertinent pour le fil du discours explicatif.
Toute une série de manipulations seront maintenant nécessaires, en voici un schéma simplifié. Il n'y aura pas des description de cette partie technique par la suite sauf lorsque cela est pertinent pour le fil du discours explicatif.
La répartition des petites et des grosses communes peut sûrement mieux être mise en évidence avec un meilleur choix de couleurs.
Goethe décrivait le bleu comme une nuit très légérement éclairée, et le jaune comme une lumière fatiguée. Une gamme de couleur du jaune au bleu est choisie ici pour mettre en évidence des caractéristiques couvrant uner large gamme de valeurs. Et voilà que s'exprime le lien entre taille des communes et géomorphologie du pays: La grande zone jaune au sud représente les Alpes alors que l'arc jurassien au nord-ouest est l'autre zone peu peuplée. L'alignement des communes longilines le long du Rhône est frappant, quelques autres vallées apparaissent dans cette image encore peu manipulée.
En jouant sur la seule donnée de la population divisée par un paramètre spatial très simple, la surface, voici la densité et qu'apparaît une nouvelle organisation du paysage avec les zones à espace vital limité (en rouge) et les espaces montagneux presque vides en gris. La vallée du Rhône (la cicatrice au sud-ouest des Alpes suisses), celle de l'Aar au centre et celle qui correspondent aux écoulements de la Reuss et de la Limmat dans la région de Zurich sont les lieux de concentration de la population au pied du Jura.
Le choix des couleurs est évidemment provocateur, opposer des teintes rouges soutenues et des plages grises n'est pas du tout neutre...
Le choix des couleurs est évidemment provocateur, opposer des teintes rouges soutenues et des plages grises n'est pas du tout neutre...
Cette carte reprend les mêmes données sous une forme bien différente: chaque commune a recu par tranche de 250 habitants un point disposé aléatoirement sur so superficie. L'impression visuelle de répartition de la population est ici excellente. Pourtant la position de chaque point est faux. L'oeil voit toujours mieux ce que le cerveau veut voir, même si c'est une image inédite.
Ce fond de carte est inspiré par le code couleur développé par Patrick Poncet pour son antigéographie. Sur fond bleu foncé, les parties les plus peuplées sont représentées en plages lumineuses qui exploseront dans les cartogrammes et disparaitront dans les anticartogrammes, laissant de vastes plages sombres interpeler notre besoin de tout comprendre ou expliquer.
Les lacs avec une population nulle seront représentés en bleu très foncé et permettront d'évaluer la déformation globale de l'espace représenté comme le font les polygones de Tissot pour comparer les différentes déformations de cartes.
Les lacs avec une population nulle seront représentés en bleu très foncé et permettront d'évaluer la déformation globale de l'espace représenté comme le font les polygones de Tissot pour comparer les différentes déformations de cartes.
Après 2 itérations, le premier cartogramme voit des centres urbains exploser, Genève tout à l'ouest, Berne au centre, Bâle au nord et Zurich au nord-est. Quelques communes alpines couvrant de trés grandes surfaces avec une population relativement importante sont également bien visibles à ce stade.
Après 4 itérations, les 3 principales villes suisses commencent à écraser leur environnement, d'autres villes émergent: Lausanne au bord du Léman, Lucerne au pied des Alpes, Lugano au sud des Alpes, Winterthur au nord-est de Zürich et St Gall à l'est du pays. Les communes avec une forte population mais une densité faible deviennent moins visibles alors que les lacs deviennent méconnaissables...
Après 8 itérations, l'espace alpin a quasiment disparu, tout comme les crêtes du Jura. Le Moyen Pays s'étale, la carte devient simple pour ne pas dire simpliste.
Après 15 itérations, l'information additionelle est négligeable. Les limites euclidiennes permettent de visualiser la disparition du Jura au nord-ouest et des Alpes au sud, en particulier des alpes valaisannes au sud-ouest, tessionoise au sud et grisonnaises au sud-est.
Que nous raconteront maintenant les anticartogrammes qui feront grossir les polygones les moins peuplés au lieu de les réduire comme ici ?
Que nous raconteront maintenant les anticartogrammes qui feront grossir les polygones les moins peuplés au lieu de les réduire comme ici ?
Du retournement des cartogrammes
pour en faire un instrument d'exploration renouvelée du monde
Cet anticartogramme est basé sur la méthode de Patrick Poncet et déforme les polygones existants par une valeur inversément proportionnelle à la population: Un polygone peuplé se réduit jusqu'à devenir un élément lumineux de la réticularité urbaine helvétique. Le premier cartogramme montre la situation après 2 itérations du processus de déformation.
Le massif de l'Aar au centre des Alpes a disparu, le Jura s'estompe, la côte lémanique sort des ténébres.
Le massif de l'Aar au centre des Alpes a disparu, le Jura s'estompe, la côte lémanique sort des ténébres.
Les images suivantes après 4 et 6 itérations voient effectivement se réduire les zones urbaines et dans le vide bleuté apparaît une trame urbaine qui représente les principaux axes de communication entre poles urbains ainsi que leur étalement spatial.
L'anticartogramme de la Suisse bascule après 10 itérations et révèle la structure urbaine, avec un axe Nord-Sud décalé mais réel, celui s'étendant de Bâle au Tessin. D'est en ouest, la situation est plus complexe car il y aurait 2 réseaux parallèles, celui du pied du Jura et celui de l'axe Zürich-Berne. La connection avec l'arc lémanique se fait via Vevey, où passe le réseau rejoignant la vallée du Rhône. Il est frappant de voir que les Grisons et le Tessin ont largement disparu sur cette image.
L'image globale est bien différente du cartogramme, ce qu'une animation simultanée des 2 séries d'images montre parfaitement.
L'image globale est bien différente du cartogramme, ce qu'une animation simultanée des 2 séries d'images montre parfaitement.
La comparaison des animations permet de mieux comprendre certaines subtilités des dynamiques spatiales en place. La où le cartogramme perd rapidement en signification par la rapide saturation jaune de toute l'image, l'anticartogramme met en évidence une organisation spatiale interurbaine par un réseau clair, souvent étoilé autour des pôles urbains les plus importants.
Après 20 itérations, la forme de la Suisse devient méconnaissable, mais voici qu'y apparaît en filigrane le réseau interurbain helvétique, celui-là même que Patrick Poncet cherchait à mettre en évidence en développant son anticartogramme. De petis espaces urbains a forte concentration de population pccupent l'espace national comme les filaments des champignons colonisent systématiquement le sol des forêts. L'influence structurante lointaine des monstres urbains que sont Zürich, Berne, Bâle et Lucerne explique sans doute l'espace structuré en réseau plus organisé du centre de gravité du Moyen Pays suisse-allemand.