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le deuxième exemple complet d'analyse morphologique date de 2021 et se base sur des données de dernière génération du modèle numérique de Terrain GLO 30M de l'agence spatiale européenne préparé par Sarmap. Nous verrons d'abord comment l'analyse morphologique de quelques régions illustre la pertinence de la méthode pour définir, cartographier puis représenter les principales unités de paysage structurant le paysage. Dans un second temps, une représentation simple d'appareils sédimentaires permettront une description précise des principaux éléments géomorphologiques.
Le premier réflexe est toujours de mettre un nouveau MNT à l'écran et de lui donner quelques couleurs. Cette image se base sur des seuils identifiés sur un autre MNT et ne sont que provisoires. La dépression au nord est celle de Bodelé, la cicatrice à gauche est le Bahr el Ghazal (la rivière aux gazelles), la ligne qui zigzague au centre est la limite du mégalac Tchad qui existait il y a quelques milliers d'années et à l'est se trouve un socle plus élevé coloré en jaune.
Le deuxième réflexe est de calculer les pentes pour révéler la rugosité du paysage. A ce stade, il est encore difficile d'y repérer des éléments structurants à part la structure quasi verticale qui représente la limite du mégalac Tchad.
Le troisième réflexe est de calculer l'orientation de chaque pixel et de les colorer. Cette image semble bien inintéressante, jusqu'à ce que le zoom mette en évidence sa structure interne. Cela permet de voir si des corrections sont encore nécessaires.
Alors que le MNT semble bien lisse, une analyse plus fine de l'orientation montre que certaines tuiles n'ont pas une transition fluide, ce qui doit être corrigé. Les lignes quasi-verticales marquent le passage du satellite qui circule de haut en bas. Cette orientation est assez génante car elle est parallèlle à la ligne de rivage... Qu'est aberration dans l'image et qu'est élément géomorphologique réel?
L'image des pentes révèle la limite entre deux clichés successifs qui produit un artefact, l'îllusion qu'il y aurait des décrochages topographiques. Par contre, on y voit aussi apparaître ce qui s'avére bien être une ligne de rivage du mégalac Tchad et les rivières qui y coulaient en y construisant un delta.
Au-delà des erreurs, il y a aussi un MNT incroyablement précis localement, permettant même d'entrevoir par endroit les orientations de la foliation métamorphique... Le MNT corrigé a été exploré avec en tête l'idée d'identifier les éléments qui auraient les même caractéristiques hydrogéologiques.
Ce MNT a été travaillé avec le logiciel libre SAGA GIS, plus particulièrement son indice de rugosité topographique qui quantifie la différence d'altitude entre une cellule et les huit cellules avoisinantes et propose 8 classes de rugosité. Le traitment d'un tel MNT prend du temps car le résultat est une couche SIG de plus de 5 mégabytes. En se focalisant uniquement sur les valeurs comprises entre 0 et 2, négligeant donc les 130 autres valeurs produites par l'algorithme, l'histoire récente du lac Tchad se révèle sur une seule image: Là où se devinaient par exemple d'éventuels rivières se dessinent maintenant des cours d'eau dont ou pourra suivre les méandres, les lignes de rivage successives se marquent, on peut même évaluer l'érosion d'un champ de dunes fossile. Lorsqu'une telle image apparaît sur l'écran, c'est jour de grâce car elle permet au géologue de lire tout ce dont il avait besoin pour comprendre un paysage.
Dans cette image se distinguent un chenal principal dans lequel serpentent d'anciens méandres. Lorsque les rivières arrivaient dans le lac, elles érodaient les berges puis déchargeaient leurs sédiments; les éléments les plus grossiers se sont déposés dans le delta, alors que les éléments les plus fins sont entraînés vers le pro-delta.
Au sud, une masse inerte de sable éolien oblige la rivière à la contourner avant qu'elle ne s'enfonce dans des sédiments gorgés d'eau. La seconde masse au nord alimentait une rivière temproraire indiquée par un traitillé. |
Dans cette image une rivière a trouvé son chemin au nord de la masse centrale qui contrôle son écoulement. Les oueds s'écoulent parallèllement aux sédiments éoliens qui les rechargeaient en saison séche. Le traitillé bleu marque la limite de la paléo-nappe sub-affleurante en contact avec le mégalac: les rivières y deviennent soudain sinueuses car la seule solution pour y perdre leur énergie cinétique est de déplacer latéralement des sédiments.
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Cette image a été travaillée pour mettre en évidence certains des éléments découverts jusque là : un code couleur basé sur des seuils significatifs permet de distinguer du nord au sud, et d'est en ouest:
Le lac Tchad actuel,
son bassin récent maximum,
le Bahr el Ghazal qui s'enfonce vers
la dépression de Bodélé (hors de l'image en haut au centre),
les rives du mégalac Tchad et ses divers appareils sédimentaires
Le lac Fitri
Une ancienne plaine cotière du mégalac Tchad regroupant des dunes fossiles et des paléolits de rivières
Le glacis d'érosion qui borde
le socle du Ouaddaï à l'est
et le Massif du Guéra au sud.
Le lac Tchad actuel,
son bassin récent maximum,
le Bahr el Ghazal qui s'enfonce vers
la dépression de Bodélé (hors de l'image en haut au centre),
les rives du mégalac Tchad et ses divers appareils sédimentaires
Le lac Fitri
Une ancienne plaine cotière du mégalac Tchad regroupant des dunes fossiles et des paléolits de rivières
Le glacis d'érosion qui borde
le socle du Ouaddaï à l'est
et le Massif du Guéra au sud.
Un travail d'interprétation plus fine peut maintenant commencer, en mettant en évidence certaines altitudes qui pourraient représenter des seuils critiques. Le premier secteur sera celui du piémont qui sépare le Ouaddaï du bassin du lac Tchad.
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L'histogramme du logarithme de la fréquence des altitudes a permis d'identifier les seuils significatifs.
Les valeurs suivantes ont été retenues: 330, 339, 349, 359, 371, 414, 430, 441, 471, 474, 484, 494, 537 mètres. Le long plateau de 441 à 471 mètres coloré en rouge correspond à un profil d'érosion séparant la limite du socle et du bassin du lac Tchad. Une succession de dépot puis d'érosion marquent le développement d'une large zone du piedmont. En brun foncé se reconnaissent les appareils sédimentaires qui se sont construit lors de l'extension maximum du mégalac Tchad. |
L'histogramme du logarithme de la fréquence des altitudes du massif du Guéra permet d'identifier des seuils significatifs. Les valeurs suivantes ont été retenues: 341, 370, 397, 400, 428, 460, 487, 673, 1151 et 1475 mètres (les valuers les plus élevées ont été tirées d'un autre découpage de MNT).
Ici, l'échelle de couleurs vise à mettre en évidence la structure interne du massif du Guéra sur lequel on voit bien comment l'érosion régressive dévore le plateau coloré en rose sur lequel il repose.
Cette image régionale basée sur la même échelle de couleurs, l'extension de la zone colorée en rouge indique une continuité entre l'Ouaddaï à l'est le massif du Guéra en bas à droite de l'image. Elle met aussi en évidence le delta du Chari au sud. Il est raisonnable de poser l'hypothèse que sa construction est contemporaine avec l'extension du mégalac Tchad, donc qu'il aurait été construit sur une durée très courte de quelques millènaires.
Un MNT propre permet de représenter les altitudes les plus importantes, bien connues dans le lac Tchad dont on sait qu'il s'est retiré en laissant une série d'appareils sédimentaires superposés. Pour chaque altitude critique, la couche est simplifiée, avec en brun clair ce qui est au dessous et en noir ce qui est dessus de l'altitude seuil. Les couches sont superposées avec une transparence de 80 %, ce qui permet de reconstruire les formes actuelles.
La même approche pour mettre en évidence la construction du delta du Chari donne une image encore plus impressionnante. Ici se reconnaissent la lente dérive des rivières vers le sud, les lagons qui cèdent l'un après l'autre au fur et à mesure que le niveau du lac baisse et que l'érosion reprend ce que le fleuve avait déposé peu avant dans les lévées latérales. Les anciens chenaux aux sédiments plus grossiers et potentiellement productifs sont maintenant bien visibles et peuvent être recherchés comme source potentielle d'en eau souterraine.
Les modèles numériques se succèdent et sont de plus en plus performants, celui illustré à gauche s'appele FabDEM et a été produit par l'université de Bristol. Il a été corrigé en otant partout la hauteur des arbres et des immeubles. En mettant en bleu l'altitude maximum du mégalac Tchad, l'âge de formation du delta du Chari se révèle. Une représentation différente du delta permet toujours de reconnaître une dérive plus ou moins constante vers l'ouest.
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Une comparaison avec une image satellite classique montre bien combien l'analyse morphologique a permis de préciser la compréhension de l'organisation spatiale du delta. N'djamena, la capitale du Tchad, est la tâche grisâtre située dans le coin supérieur gauche.