Avant de discuter de la colonisation des terres émergées par la végétation, il faut résumer l’histoire du développement de la vie sur Terre. Une trace de vie datée de 4.28 milliard d’années aurait été découverte au Québec, des traces de vie vieilles de 3.48 milliards d’années ont été confirmées en Australie (Raphael J. Baumgartner et al, 2019, Nano−porous pyrite and organic matter in 3.5-billion-year-old stromatolites record primordial life, Geology 47 (11). Il s’agit de matière organique formée dans des stromatolithes, un dépôt sédimentaire dû à une intense activité bactérienne qui fixe les particules en suspension dans un filet biologique. Pendant longtemps la vie la plus primitive a vu co-exister des bactéries et des Archea, deux types d’unicellulaires sans noyaux. La photosynthèse date d’il y a 3.5 milliards d’années, donnant à la vie une capacité de transformer avec l’énergie de la lumière solaire eau et gaz carbonique atmosphériques en molécules de glucose sur laquelle se bâtit toute la vie. Cette réaction permet de relâcher de l’oxygène dans l’atmosphère, qui changea radicalement lors du grand événement d’oxygénation il y a 2.4 milliards d’années. Il y a 1.85 milliards d’années apparaissent les cellules contenant des organites, dont la diversification s’accélère encore lorsque leur métabolisme commence à utiliser l’oxygène. Il y a 1.7 milliards d’années apparaissent les pluricellulaires, avec des fonctions spécifiques pour chaque cellule. Puis apparut la reproduction sexuelle, dont l’origine remonterait à un seul ancêtre commun, un unicellulaire avec un noyau qui aurait imposé sa capacité de produire un nouvel être en fusionnant des cellules femelles et mâles. Encore une fois l’évolution accélère, à la fin du Précambrien apparaissent soudain de nouveaux groupes d’animaux dans la mer, puis plus tard sur la terre ferme.
Mais quand la vie a-t-elle colonisée la terre ferme ? S’il est probable que la vie est apparue il y a plus de 3.7 milliards d’années, contrairement à la conception qui prévaut en général, il n’y a pas de raisons de considérer que la vie se soit d’abord développée exclusivement dans un milieu marin, puis n’aurait conquis la terre ferme il y a un peu plus de 450 millions d’années avec des végétaux qui auraient alors permis le développement de sols. Il faut au contraire considérer que la vie s‘est probablement développée simultanément dans un milieu liquide et un milieu aérien (Beraldi-Campesi, 2013 Early life on land and the first terrestrial ecosystems. Ecological Processes 2013 2:1), avec une intense activité bactérienne sur la terre ferme qui a eu un impact majeur sur la production des premiers sols, puis sur le type de sédiments et de corps dissous mis à disposition des océans, ce qui a d’ailleurs contribué à accélérer la diversité des environnements marins et partant l’évolution des communautés et des espèces s’y développant. Les microorganismes primitifs ont formé des écosystèmes sur les terres émergées il y a plus de 2.7 milliards d’années. La question de la colonisation des végétaux de la terre ferme se pose alors très différemment puisqu’ils se sont établis sur des sols qui avaient évolué pendant des cycles de durée énormes (650 millions d’années si l’on prend le cycle de Wilson, le temps nécessaire pour que tous les continents se séparent puis se rejoignent à nouveau tous sur Terre). Même si les plantes les plus archaïques n’avaient que des rhizoïdes, ils plongeaient dans des sols à la vie microbienne bien établie, dont certains ont rapidement pu trouver un avantage à échanger certains éléments chimiques contre des molécules organiques produites grâce à la photosynthèse. Cependant, le passage d’un milieu liquide à la terre ferme implique pour tous les organismes plus grands qu’un millimètre une structure externe permettant de résister à la gravité. D’arcy Thompson a écrit un chapitre passionnant sur les tensions superficielles qui explore méthodiquement cette lutte contre la gravité qui n'apparaît qu'à partir d’une certaine grandeur.
Dès le Cambrien probablement (-542 millions d’années), mais massivement depuis l’Ordovicien supérieur (-471 millions d’années), les plantes prennent possession des terres. Toutes les plantes terrestres, des mousses aux plantes à fleurs, viendraient d’un seul ancêtre commun : une charophyta, une algue verte, qui aurait réussi à surmonter le problème physiologique de passer d’un milieu humide (la mer) à un espace aérien (Wellmann Charles H.et al, Palaeophytogeography of Ordovician-Silurian plants, Geological Society London, Memoirs (2013), 38(1), 461). Les plantes terrestres se seraient développées à partir d’une algue unicellulaire qui auraient évolué vers une forme pluricellulaire. L’invasion terrestre se serait alors propagée des milieux lagunaires le long de rivières, puis depuis les zones humides pour finalement atteindre des zones de moins en moins humide. Une forme particulièrement primitive de vie est représentée par le groupe des Hepatocophyta (Hépatique), le groupe de plantes terrestres ayant conservé le plus de caractères ancestraux. Leur appareil végétatif est appliqué au substrat par des structures cellulaires appelées des rhizoïdes, une forme primitive der racine. Ils seraient apparus en même temps que les Mousses (Bryophita s.s.), elles aussi dépourvues de lignine et de racines, mais dont les rhizoïdes leur permettent de pousser en se servant d’autres plantes comme support. Un troisième embranchement primitif sont les Anthocérotes anthocerotophyta qui avec les Mousses et les Hépatiques forme ce qu’il est convenu d’appeler les Bryophytes s.l.. ou encore les plantes terrestres. Ce groupe existe depuis le début de la colonisation des continents par la végétation. Il existe un autre groupe de plantes qui a des caractéristiques communes avec tous ces groupes archaïques, il s’agit des lycophyta (lycopodes), qui seraient à l’origine des plantes vasculaires. Le troisième groupe comprend les Ptérophytes, qui sont les premières plantes à avoir développé un système vasculaire il y a 420 millions d’années, comprend les prêles et les diverses sortes de fougères.
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Enfin, le dernier groupe comprend les plantes se reproduisant par graines, les gymnospermes et les angiospermes (planètes à fleurs) qui sont le groupe végétal le plus répandu sur Terre aujourd’hui. Comment les plantes ont-elles évolué dans le temps pour en arriver à cet équilibre aujourd’hui ? Comme toujours les fossiles peuvent nous éclaire sur ces origines lointaines, mais il est très difficile dans ce cas d’avancer des certitudes car les plantes primitives n’avaient que peu de tissus susceptibles de se fossiliser. S’il est en revanche relativement courant de trouver des spores qui permettent un certain classement des couches, les attribuer à des végétaux dont on n’a presque aucune trace fossile reste un exercice difficile.
Source: (Capel E, et al ,2021 , A factor analysis approach to modelling the early diversification of terrestrial vegetation, Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology, Volume 566
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Ce graphique distingue quatre épisodes successifs de diversification de l’écosystème terrestre : une flore primitive («Eotrachophytic») qui s’effondre à la base du Dévonien et correspond à la diffusion initiale de plantes vasculaires. Une seconde flore («Early Eophytic") atteint son paroxysme il y a 410 millions d’années et se continue par une troisième flore («Late Eophytic»), caractérisée par l’apparition des premiers arbres et d’espèces qui deviendront les Gymnospermes, la forme dominante de végétation jusqu’à son remplacement au crétacé par les plantes à fleurs. Enfin la dernière flore («Palaeophytic») correspond à la diffusion des plantes se reproduisant par des graines. Chaque flore remplace largement la flore précédente et on assiste au ‘passage graduel d’une flore à plante herbacées à la forêt primitive.
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Les plantes colonisent d’abord les endroits les plus favorables durant le Silurien (-443 à -419 millions d’années) puis étendent leur couverture végétale durant le Dévonien. Les terres émergées, soumises jusque-là à une altération par les microorganismes et une importante érosion sont recouverts par une association de plantes primitives, puis par des fougères, d’abord herbacées puis ligneuses. Pour la première fois s’établit une forêt qui modifie profondément les processus de de circulation la température et de l’eau, d’altération des continents et d’apports sédimentaires à l’océan bordant un continent sur lequel s’agglutine toujours plus de plaques tectoniques. Au Carbonifère se développe une végétation luxuriante qui ne se décompose pas, ce qui permet le dépôt de gisement massif de charbon. Vers -290 millions d’années, les forêts s’effondrent soudain lorsque le climat passe de chaud et humide à froid et sec dû à une glaciation. Des champignons capables de dégrader la lignine apparaissent peu après, et le charbon ne se dépose plus que dans certains endroits privilégiés. Enfin, des plantes avec des vaisseaux permettant de transférer des volumes de sève nettement plus importants, apparaissent au Permien, la dernière époque géologique du Paléozoïque qui s’étend de -299 à -252 millions d’années.
La carte est tirée de Guillaume Le Hir et al, 2011, The climate change caused by the land plant invasion in the Devonian, Earth and Planetary Science Letters, 310 (3–4), Pages 203-212) |
Maintenant que son histoire est plus claire, examions comment la végétation contribue au premier pôle de cette théorie de bio-rhexistasie à travers le pôle nommé biostasie.