La musique recommandée pour cette section the Jaded Hearts Club you've always been there
Beaucoup connaissent l'histoire d'Alfred Wegener, ce climatologue allemand qui a théorisé la dérive des continents en 1915, un demi-siècle avant que la communauté scientifique ne l'admette collectivement. Mais ce que beaucoup ignorent par contre est que certains géologues ont immédiatement embrassé ses vues, parmi lesquels émerge Emile Argand.
En 1910, donc cinq ans avant la première publication de la théorie de Wegener, il publiait un stéréogramme schématique des alpes pennines dans lesquels l'effet d'une poussée depuis le sud-est expliquait le plissement des nappes penniques.
En 1910, donc cinq ans avant la première publication de la théorie de Wegener, il publiait un stéréogramme schématique des alpes pennines dans lesquels l'effet d'une poussée depuis le sud-est expliquait le plissement des nappes penniques.
Puis il développait sa vision avec un stéréogramme tectonique mettant en évidence les relations entre nappes, les reliant aux mouvements volumiques de matière par des plis dont le plongement des axes pouvait expliquer les relations en profondeur.
Son approche visionnaire impliquait une compréhension de la formation des montagnes, ou encore de l'orogenèse, sur une épaisseur de plusieurs dizaines de kilomètres, une différence fondamentale avec l'approche d'Emmanuel de Martonne limitée aux observations de surface.
Son approche visionnaire impliquait une compréhension de la formation des montagnes, ou encore de l'orogenèse, sur une épaisseur de plusieurs dizaines de kilomètres, une différence fondamentale avec l'approche d'Emmanuel de Martonne limitée aux observations de surface.
Puis Emile Argand, peu après avoir lu Wegener, développa cette vision chronologique du plissement des Alpes, dans lequel une poussée horizontale continue permet d'expliquer la formation de montagnes sans avoir à faire intervenir de mouvements verticaux. Aussi incompris que Wegener pendant des décennies, ses intuitions seront toutes vérifiées au fur et à mesure que la connaissance du sous-sol des Alpes se précisera alors qu'Argand sombrera dans un oubli toujours plus grand.
Une représentation post révolution de la tectonique des plaques illustre ainsi l'évolution de la zone étudiée par Argand il y a plus d'un siècle. Il ya eu expansion de la connaissance en profondeur et cumul de détail chronologiques mais l'image proposée par Argand reste valable. En fait, toute l'histoire que raconte aujourd'hui la tectonique des plaques reproduit ses études et son explication du mouvements des nappes rencontrant un bloc faisant saillie...
Confronté à la théorie de Wegener, Argand l'étudie et se prononce ainsi: " Depuis 1915, et surtout depuis 1918, j'ai longuement scruté le degré de crédibilité de la théorie des translations, en faisant intervenir tout l'atlas des formes tectoniques dont je puis disposer et tous les mouvements que je puis voir [ce qui est plus que la plupart des géologues ou géomorphologues ne percevront jamais selon l'auteur de ce site]. (...)
Je ne pense qu'à abréger en employant, pour caractériser l'essentiel des deux attitudes [par rapport à cette théorie] les expressions de fixisme et de mobilisme.
Le fixisme n'est pas une théorie, mais un élément négatif commun à plusieurs théories. A bien voir les choses, il n'est que la non-proposition d'un problème qui est précisément celui du mobillisme, et il ne se définit que par rapport à lui. En riguer, il ne saurait être démontré ou infirmé; c'est le lot de toute idée qui compte sur l'absence de témoignages. (...)
Mais dans le présent, il me semble qu'aucun fait ne soit assez contrariant pour nous empêcher de goûter, sur ces radeaux où flottent nos destins, le délice des sages emportements auxquels nous convie Mr. Wegener."
Argand répond ainsi sans hésiter à l'appel au voyage de Wegener plutôt que de rester à quai, convaincu de la fixité du monde sur une planète qui tourne pourtant sur elle même tous les jours!
Je ne pense qu'à abréger en employant, pour caractériser l'essentiel des deux attitudes [par rapport à cette théorie] les expressions de fixisme et de mobilisme.
Le fixisme n'est pas une théorie, mais un élément négatif commun à plusieurs théories. A bien voir les choses, il n'est que la non-proposition d'un problème qui est précisément celui du mobillisme, et il ne se définit que par rapport à lui. En riguer, il ne saurait être démontré ou infirmé; c'est le lot de toute idée qui compte sur l'absence de témoignages. (...)
Mais dans le présent, il me semble qu'aucun fait ne soit assez contrariant pour nous empêcher de goûter, sur ces radeaux où flottent nos destins, le délice des sages emportements auxquels nous convie Mr. Wegener."
Argand répond ainsi sans hésiter à l'appel au voyage de Wegener plutôt que de rester à quai, convaincu de la fixité du monde sur une planète qui tourne pourtant sur elle même tous les jours!
La carte sommaire que propose Wegener met en évidence la similarité de forme de la côte orientale de l'Amérique du sud et de la côte ouest africaine où de Martonne explique l'origine du courant marin. La carte d'Argand va au-delà, séparant ce qui s'appelera plus tard le domaine océanique en noir et les aires dans lesquelles domine un plissement anticlinal de fond, réunit les zones affectées par une même orogenèse, indique les positions successives des promontoires africain, arabe et indien, suggère en somme une dynamique dans les quatre dimensions de l'espace-temps.
Il osera aussi un demi-siècle avant les autres géologues une carte tectonique de l'Eurasie qui reste largement inégalée quant à son impact visuel. Il souligne avec des couleurs vives les zones qui ont subi une orogenèse importante, et utilise des tons pastel sur de grandes surfaces, préfigurant les recommandations d'Edouard imhof, le maître de la cartographie suisse, qui limitera l'utilisation de tons vifs sur de petites surfaces afin d'avoir un impact visuel maximum*.
Oser représenter en blanc les zones sans données démontre que la peur du vide ne poussait pas Argand à tomber dans le piège que décrit si bien Balzac: "La rage de vouloir conclure est une des manies les plus funestes et les plus stériles qui appartiennent à l'humanité. Chaque religion et chaque philosophie a prétendu avoir Dieu à elle, toiser l'infini et connaître la recette du bonheur. Quel orgueil et quel néant. Je vois, au contraire, que les plus grands génies et les plus grandes oeuvres n'ont jamais conclu"
*Eduard Imhof, Cartographic relief presentation, ESRI press, page 72
Oser représenter en blanc les zones sans données démontre que la peur du vide ne poussait pas Argand à tomber dans le piège que décrit si bien Balzac: "La rage de vouloir conclure est une des manies les plus funestes et les plus stériles qui appartiennent à l'humanité. Chaque religion et chaque philosophie a prétendu avoir Dieu à elle, toiser l'infini et connaître la recette du bonheur. Quel orgueil et quel néant. Je vois, au contraire, que les plus grands génies et les plus grandes oeuvres n'ont jamais conclu"
*Eduard Imhof, Cartographic relief presentation, ESRI press, page 72
Emile Argand publie son magnum opus en 1928, la Tectonique de l'Asie, qui contient des figures de synthèse visionnaires comme la figure 8 qui résume les épisodes de création de montagnes lors des séquences de collisions de continents, préfigurant ici encore toute la tectonique des plaques. Cette figure détaille les secteurs affectés par le plissement alpins (figurés 2 à 6), lorsque la matière charriée vient s'encastrer dans les blocs précambriens teintés en rouge dans cette unique figure où un léger coloriage rend la lecture plus facile.
Dans cette figure, Argand détaille les virgations à l'oeuvre, et leur relation avec les plis que dessine la tectonique sur la face de la terre. Puis il simplifie la figure, en enlevant toutes les légendes qui en encombrent la vision, et une image incroyablement fluide de la tectonique de l'Asie s'en dégage.
Cette image au sens de Bertin met en évidence les mouvements complexes à travers une série de couches rocheuses devenue plastique dans un temps long semblable à celui de Darwin. En blanc figurent les aires sans plissement.
Dans cette image figurant des vortex s'enroulant les uns dans les autres, le code de couleur a permis de passer des couleurs primaires aux couleurs secondaires puis tertiaires, toujours plus muettes, agitant le décor sur lequel se détachera un propriétaire de puits au Yémen. Quand je coloriais cette image, j'ignorais que j'y reproduisais aussi la tectonique de l'Eurasie....
Il faut avoir étudié la géologie passionnément pendant des décennies pour apprécier tout ce que cette image avait de visionnaire en 1928 quant elle a été publiée, une vision mobiliste contre laquelle une communauté de scientifiques se fera un point d'honneur de résister pendant des décennies. Elle ne sauvera pourtant pas Argand d'une dérive à la fin de sa vie.
Voici la carte géologique de l'Asie aujourd'hui. Elle comporte des dizaines d'unités, mais représente également le fond des mers, dont l'expansion continue le long des dorsales médio-océaniques s'avérera être le moteur déplaçant les plaques tectoniques.
Après avoir exploité la perspective nouvelle qu'autorisait la théorie de Wegener, Argand se perdra à la fin de sa vie dans la recherche du moteur de la tectonique, qui l'empêchera désormais d'admirer la perfection du mouvement. Il cherchera vainement la cause dans les montagnes alors que c'est l'exploration de la mer qui aurait permis de proposer une solution élégante et physiquement défendable. Mais comment un géologue basé en Suisse, pays sans accès à la mer et de plus en plus isolé dans une Europe basculant dans des extrémismes politiques, aurait-il pu révolutionner aussi notre rapport à la mer alors que les Alpes s'imposaient visuellement lorsqu'il scrutait l'horizon austral depuis son institut de géologie?
Une relation compliquée aves sa mère semble avoir empéché une vraie relation avec d'autres femmes, une complication qui a peut-être rendu la mer invisible à ses yeux, en faisant un lieu trouble qui l'effrayait. Malgré ses dons nombreux et son incroyable capacité à visualiser le monde physique, il mourra peu après sa mère, entre autre par manque d'amour?
Après avoir exploité la perspective nouvelle qu'autorisait la théorie de Wegener, Argand se perdra à la fin de sa vie dans la recherche du moteur de la tectonique, qui l'empêchera désormais d'admirer la perfection du mouvement. Il cherchera vainement la cause dans les montagnes alors que c'est l'exploration de la mer qui aurait permis de proposer une solution élégante et physiquement défendable. Mais comment un géologue basé en Suisse, pays sans accès à la mer et de plus en plus isolé dans une Europe basculant dans des extrémismes politiques, aurait-il pu révolutionner aussi notre rapport à la mer alors que les Alpes s'imposaient visuellement lorsqu'il scrutait l'horizon austral depuis son institut de géologie?
Une relation compliquée aves sa mère semble avoir empéché une vraie relation avec d'autres femmes, une complication qui a peut-être rendu la mer invisible à ses yeux, en faisant un lieu trouble qui l'effrayait. Malgré ses dons nombreux et son incroyable capacité à visualiser le monde physique, il mourra peu après sa mère, entre autre par manque d'amour?
Dans les Filles d'Abel, un pilote de fusée fait surgir cette image pour souhaiter la bienvenue à ses co-équipiers avec qui il part en mission. "La première image brute le surprendra, elle montrera une dépression tentant de s’affirmer dans un relief agité de vagues nombreuses. Pourquoi les couleurs agressives de la Période Noire? Pourquoi une telle agitation? Sans doute se dira-t-il que son esprit manquera d’un peu de sérénité pour reproduire ainsi la lumière originelle commune à tous les mammifères, l’illumination initiale marquant la fin de la bataille initiale, celle illuminant le grand départ originel..."
Ayant vécu des moments exaltants dans les hauteurs des Alpes dans sa jeunesse, doué d'une capacité de visualiser puis représenter le monde en trois dimensions, de plus en plus enfermé dans une université de province dont l'élite était incapable de comprendre à quel point son approche était visonnaire, Emile Argand était mal équipé pour dépasser les puissants sentiments qui l'avaient habités dans son jeune âge. Sa mort prématurée lui a évité de suivre la descente aux enfers d'une Europe prisonnière de ses dérives politiques extrêmes
Ayant vécu des moments exaltants dans les hauteurs des Alpes dans sa jeunesse, doué d'une capacité de visualiser puis représenter le monde en trois dimensions, de plus en plus enfermé dans une université de province dont l'élite était incapable de comprendre à quel point son approche était visonnaire, Emile Argand était mal équipé pour dépasser les puissants sentiments qui l'avaient habités dans son jeune âge. Sa mort prématurée lui a évité de suivre la descente aux enfers d'une Europe prisonnière de ses dérives politiques extrêmes
Même s'il ne semble pas lui-même s'être interessé aux travaux de Freud, il est tentant d'identifier dans cette figure d'Argand le vortex originel, l’idée d’une cavité centrale qui fera merveille et sera reprise par les animaux qui choisiront la mobilité comme moyen ultime de conquête spéciste, alors qu’au contraire les végétaux préféreront rester sur place tout en ayant la possibilité de se régénérer aussi souvent que cela sera nécessaire: l’agilité animale répondra à la plasticité végétale.
Cavité originelle du corallite, gouttière neurale autour de laquelle s'organise le développement embryonnaire des vertébrés, réceptacle de la pulsation de vie, voilà qu'elle réapparait comme résultat de l'enchevêtrement des continents.
Cavité originelle du corallite, gouttière neurale autour de laquelle s'organise le développement embryonnaire des vertébrés, réceptacle de la pulsation de vie, voilà qu'elle réapparait comme résultat de l'enchevêtrement des continents.
Il faudrait encore parler du plissement continu d'une surface qui suffit à créer un point de non-retour lorsque sa dérivée change de signe, mais cela est l'objet de la morphologie organique traitée ici.